Journée d'étude autour de l'écriture
Apprendre à écrire aujourd'hui ?

Le mot de la fin… Françoise Estienne

Françoise Estienne
Ma conclusion sera brève, pour ne pas abuser davantage de votre temps après une journée si bien remplie.

Je commencerai par remercier chaleureusement tous les organisateurs de cette journée, les orateurs et les participants… Un merci tout spécial à Tatiana de Barelli, cheville ouvrière, c’est grâce à elle, à sa gentillesse, à son dynamisme et à ses compétences que ce colloque a vu le jour.
Au terme de cette journée, j’espère que chacun aura fait son plein d’écriture et que nous repartons abreuvés et rassasiés.
L’écriture a fait couler beaucoup de parole à défaut d’encre. Il en ressort impérativement qu’écrire, un geste devenu banalement automatique pour la plupart, devient entre les mains des savants spécialistes que nous avons eu le plaisir d’écouter tout au long de cette journée, un acte éminemment sérieux voire… dangereux qui met en jeu de multiples enjeux :
- un enjeu pour l’apprenant qui doit se faire la main ;
- un enjeu pour les enseignants responsables de son apprentissage ;
- un enjeu politico-social et culturel entre les conservateurs à outrance et les progressistes qui parlent de la supprimer ;
- un enjeu pour les spécialistes qui interviennent selon leurs références et leur système de valeurs.
On retiendra que l’enfant qui apprend à écrire s’inscrit dans la lignée de ses ancêtres qui ont inventé l’écriture sur divers supports.
La main de l’enfant d’aujourd’hui qui trace une lettre est la même que celle qui a saisi la plume, le stylet, le doigt.
Cette main reste et sera la même qui tape sur un clavier, effleure une tablette… L’écran tactile reste digital.

L’écriture en danger ? Que non.
L’espace blanc de l’écran est-il plus angoissant que la page blanche ?
Ne peut-on rêver et créer en pianotant sur les touches d’un clavier ou la surface de la tablette pour en tirer une symphonie de mots au même titre que les doigts qui ondulent sur la page ?
Toute innovation attise les passions. Restons pragmatiques. Plutôt que de s’offusquer ou de s’alarmer analysons sereinement la situation.
L’écriture en danger ? Pour qui… pour nos enfants que nous voulons former à notre image et perpétuer ce que nous avons appris ?
Pourquoi ? Parce qu’elle les prive d’une façon de faire ancestrale à qui on attribue d’innombrables vertus ?
L’écriture en danger pourrait-elle ne plus être un besoin inné de tout petit enfant qui se met à gribouiller ?

Rappelons-nous qu’au-delà du geste, de la forme il y a le fond, le sens.
Quel que soit son support l’écriture continuera à porter nos mesages.

L’écriture en danger ?
Peu importe sa matérialisation, l’écriture poursuit sa trajectoire, continue son évolution créative en termes de progrès, d’adaptation, de plus en termes d’addition plutôt que de soustraction.
L’écriture de demain est celle que nous préparons tous les jours. Nous pouvons faire confiance au cerveau et à la main qui ne manqueront pas de tirer le meilleur parti des innovations techniques dont nous sommes responsables.

Avant de clôturer quelques réflexions encore :
En présence d’un graphisme maladroit d’un enfant scolarisé il est bon de se poser ces questions parmi d’autres : où en est son apprentissage du langage écrit (l’état de sa lecture, de son orthographe) ? Comment a-t-il appris à écrire ? Quel sens cela a-t-il pour lui ?
J’insiste sur le questionnement métaconceptuel au cours duquel l’enfant et l’adolescent vont nous confier leurs rapports avec l’écrit et l’écriture… (c’est quoi pour toi lire, écrire, à quoi ça sert, comment fait-on pour écrire, où y a-t-il de l’écrit etc.
Une question fondamentale, cette écriture malhabile n’est-elle pas le reflet d’une dyslexie-dysorthographie ? Au-delà de la forme comment traduit-il l’écrit sous dictée ou dans un texte spontané ? Quels types de difficultés y voit-on ?

Les faux pas de l’écriture d’un dysorthographique manifestent (souvent) sa difficulté de couler les sons, les mots, les phrases en signes graphiques…
Ceci nous évoque que les échantillons d’écriture qu’on a sous les yeux peuvent faire, l’objet de lectures très différentes selon la formation des thérapeutes… Personnellement en situation de consultation je me pose toujours les questions : Pourquoi est-ce que je dis, fais ce que je dis et fais, que pourrais-je faire d’autre, qu’est-ce que cela changerait, si l’enfant, ses parents avaient consulté une autre personne qu’est-ce que celle-ci aurait dit et fait…
Une réflexion encore : est-ce que j’aimerais être à la place de celui qui reçoit ce que je donne… Plus fondamentalement encore, qui a le plus besoin de l’autre. Que serions-nous sans « nos patients » et que nous apportent-ils ?

Et enfin, l’écriture est un écrin. Un écrin est fait pour contenir.
Contenir quoi ? Les pierres précieuses de l’écrivant qui, promu apprenti artisan, va apprendre à les tailler à sa mesure pour refléter leurs multiples facettes en devenant écrivain sous la conduite d’un maître d’œuvre bienveillant.

 

Et pour finir en beauté, ces propos de Nathalie Douay (l’invention de l’écriture)

Nous voulons vous le dire. Que les hommes d’aujourd’hui se souviennent que quand ils tracent des lettres, quand ils laissent leur main courir sur la page et leurs pensées jaillir en signes, qu’ils sachent qu’ils avancent sur ce chemin que nous avons tracé, qu’ils cheminent vers leur propre profondeur, les vents qui tournent sont le souffle des dieux. Qu’ils se souviennent qu’ils sont depuis toujours capables de bien plus qu’ils n’imaginent. Un tout dernier mot, les paroles volent mais l’écrit reste.

Une telle journée ne pouvait pas ne pas s’imprimer dans un livre. Il nous reste le produit fini ; peu importe que chacun ait couché ses pensées sur papier ou autre support, d’une écriture manuelle plus ou moins lisible qui a transité par l’ordinateur pour nous revenir en un volume bien fabriqué par les Éditions De Boeck-Solal… Que nous remercions.